La Guadeloupe, archipel riche en histoire et en patrimoine, a possédé de nombreux vestiges liés à son passé colonial et à l’esclavage. Ces sites, souvent méconnus ou peu valorisés, ont témoigné d’un passé douloureux mais essentiel à la construction de l’identité locale. Le Conseil départemental de la Guadeloupe a souhaité aujourd’hui restaurer ces lieux emblématiques et développer des projets pédagogiques pour une meilleure compréhension de cette histoire. Dans ce contexte, un colloque international, intitulé « Réparer la mémoire », s’est tenu les 28 et 29 mai 2025 à l’Habitation Néron du Moule, afin d’engager une réflexion collective sur la valorisation de ce patrimoine et la transmission de la mémoire.
Le contexte et les enjeux
Le mois de mai constitue une période clé dans le calendrier des commémorations et des événements liés à la mémoire collective dans l’archipel de la Guadeloupe. Ces manifestations, souvent riches en symbolisme et en enjeux historiques, visent à préserver la mémoire de périodes cruciales de l’histoire locale, tout en favorisant une réflexion sur l’identité, la résistance et la reconnaissance des luttes passées. Parmi ces initiatives, le projet intitulé « Fó an Fanmi » se distingue par son ambition de rassembler différents acteurs autour d’un objectif commun : élaborer un parcours mémoriel cohérent et structuré pour la Guadeloupe. Initié par le Conseil Départemental, cet événement s’est inscrit dans une dynamique de valorisation du patrimoine et de mise en lumière des lieux emblématiques liés à l’histoire coloniale et esclavagiste de l’archipel.
Le colloque organisé lors de cet événement s’est déroulé sur deux journées, les 28 et 29 mai 2025, et a réuni un panel diversifié d’intervenants : chercheurs, historiens, personnalités issues d’Afrique, des États-Unis et de la Caraïbe. Sabine Fourn, deuxième adjointe au Maire de Ouidah a pris part à ces travaux au nom de tout le conseil communal de Ouidah. La présence de ces acteurs internationaux traduit la volonté de contextualiser l’histoire locale dans une perspective plus globale, en soulignant les liens entre différentes expériences de colonisation, de résistance et de mémoire. Au-delà de la simple commémoration, cette rencontre a pour but de réfléchir collectivement à la construction d’un parcours mémoriel qui puisse servir de référence pour les générations futures, afin de mieux comprendre et transmettre cette histoire complexe et souvent douloureuse.
Le choix du lieu de cette rencontre, l’Habitation Néron, témoigne également de cette démarche de mise en valeur des sites chargés d’histoire. Située dans la commune du Moule, cette ancienne sucrerie, peu connue du grand public, revêt une importance symbolique majeure. Elle incarne à la fois l’économie coloniale, l’exploitation des esclaves et la production de sucre, un pilier de l’économie de l’époque mais aussi un symbole de la souffrance et de la résistance des populations esclaves. La sélection de ce site pour accueillir le colloque s’inscrit dans une volonté délibérée de sortir des sentiers battus, en valorisant des espaces souvent oubliés ou méconnus, afin de préserver leur mémoire et de les intégrer dans le récit historique national.
Cet événement s’est inscrit dans une démarche plus large de reconnaissance, de réappropriation et de transmission de l’histoire coloniale et esclavagiste de la Guadeloupe. En choisissant un lieu chargé d’histoire comme l’Habitation Néron, le projet « Fó an Fanmi » témoigne de la volonté de faire vivre la mémoire collective, de sensibiliser le public et de construire un avenir éclairé par la connaissance et la reconnaissance de ce passé complexe.
La mémoire coloniale et les résistances
La mémoire coloniale ne s’est pas limitée à la simple évocation de l’histoire de la colonisation ou de l’abolition de l’esclavage. Elle a également intégré la reconnaissance des résistances et des luttes des esclaves et des populations colonisées face à l’oppression. C’est dans cette perspective que les intervenants du colloque ont insisté sur l’importance de valoriser ces moments de résistance, qui ont témoigné de la force de ceux qui ont lutté pour leur dignité et leur liberté. La mémoire coloniale n’a pas été complète si l’on n’a pas mis en lumière ces épisodes de résistance qui ont marqué l’histoire et façonné la conscience collective.
Frédéric Regent a souligné, à juste titre, la nécessité de valoriser des lieux historiques liés à cette mémoire. Ces sites, souvent ignorés ou peu valorisés par la population locale, ont pourtant porté une histoire fondamentale. Il ne suffisait pas simplement de se souvenir de ces moments passés, mais il fallait aussi leur donner une place centrale dans la mémoire collective en les rendant visibles et accessibles. En mettant en valeur ces lieux, on a contribué à une compréhension plus riche et plus vivante de l’histoire, permettant à chacun de mieux saisir les enjeux du passé et leur impact sur le présent.
Repenser la relation aux lieux où ont eu lieu ces souffrances a été une étape essentielle dans le processus de réparation de cette mémoire. La reconnaissance des injustices passées n’a pas pu se faire sans une confrontation avec ces lieux, qui devaient devenir des espaces de mémoire actifs, permettant de témoigner, d’éduquer et de sensibiliser. La valorisation de ces sites a contribué à nourrir une conscience historique vivante, qui ne s’est pas limitée à une simple transmission de faits, mais qui a invité à une réflexion sur la justice, la dignité et la résistance.
La démarche de réparation a ainsi passé par une démarche de résilience. Cela a impliqué de faire en sorte que ces lieux et ces mémoires ne soient pas oubliés ou effacés, mais qu’ils soient intégrés dans une conscience collective renouvelée. La reconnaissance de ces espaces comme témoins d’un passé douloureux, mais aussi de luttes courageuses, a permis à la société de prendre conscience des injustices qu’elle avait pu commettre. En valorisant la mémoire des résistances, on a donné une voix à ceux qui s’étaient battus contre l’oppression, et on a invité à une réflexion collective pour construire un avenir plus juste. C’est en valorisant ces lieux et en se remémorant ces luttes que la mémoire coloniale a pu évoluer vers une reconnaissance plus complète et sincère.
3 continents sur les traces de la Réconciliation
Lors du colloque, une idée maîtresse essentielle a été soulignée à travers les trois tables rondes, animées par des experts issus de trois continents historiquement liés à la traite négrière : l’Afrique, l’Amérique et l’Europe. Chaque table, composée de trois spécialistes par région, a permis d’aborder la traite négrière sous un angle continental, mettant en lumière ses particularités, ses conséquences et ses traces archéologiques.
Les experts africains, originaires de Ouidah, ont présenté une analyse détaillée de la participation de la côte ouest-africaine dans la traite, en insistant sur la complexité des sociétés précoloniales, leur rôle dans la capture et la vente d’esclaves, ainsi que sur la mémoire et la symbolique liées à cette histoire. Leur exposé a permis de mieux comprendre la dimension humaine et culturelle de cette période sombre.
Les intervenants américains ont quant à eux mis en exergue la traversée transatlantique, ses impacts sur les populations africaines, la diaspora et la construction des sociétés créoles. Ils ont souligné l’héritage culturel et social laissé par cette migration forcée, tout en évoquant les sites archéologiques et cimetières découverts en Amérique, témoins silencieux de cette histoire partagée.
Les experts européens ont analysé le rôle des puissances coloniales dans l’organisation et la gestion de la traite, ainsi que la façon dont elle a façonné l’économie et la société européenne. Leur intervention a aussi abordé l’étude archéologique des vestiges, des ossements et des cimetières liés à cette période, révélant des aspects méconnus de cette histoire.
Les échanges riches et approfondis entre archéologues ont permis de mettre en évidence l’importance de l’archéologie pour comprendre cette période, en étudiant notamment les ossements et les cimetières. Ces discussions ont renforcé l’idée que la mémoire de la traite négrière doit continuer d’être explorée et valorisée pour mieux appréhender notre passé commun. Il s’agit d’études scientifiques visant à évaluer la compréhension de la population guadeloupéenne sur la traite négrière. Les premières tendances sont déjà connues, en attendant les résultats définitifs. Un comité sera créé par le département de la Guadeloupe pour poursuivre ces travaux.
Valorisation du patrimoine et des projets pédagogiques
La valorisation du patrimoine historique guadeloupéen a constitué une démarche essentielle pour préserver la mémoire collective de la région et renforcer le tissu social local. En mettant en lumière ces sites, souvent témoins d’un passé douloureux marqué par l’esclavage et ses résistances, il est devenu possible d’engager une réflexion profonde sur l’identité et l’histoire de la Guadeloupe. La restauration et la mise en valeur de ces vestiges n’ont pas seulement visé une simple conservation patrimoniale, mais ont aussi eu pour objectif de transformer ces lieux en espaces d’échange, d’apprentissage et de dialogue. Cela a permis non seulement de sauvegarder la mémoire collective, mais aussi de la faire vivre et d’en faire un levier pour la cohésion sociale.
L’introduction de projets de scénographie modernes a constitué une étape clé dans cette démarche. En utilisant des moyens innovants, ces initiatives ont cherché à rendre ces sites plus interactifs et attractifs pour un public diversifié. La technologie, la réalité augmentée ou encore les dispositifs multimédias ont ainsi permis de donner vie à l’histoire, facilitant la compréhension du contexte historique et des enjeux liés à l’esclavage par les visiteurs, qu’ils soient locaux ou touristes. Ces aménagements éducatifs ont eu pour but de rendre la visite plus immersive et pédagogique, favorisant la transmission des connaissances et la sensibilisation à l’importance de respecter et de connaître son passé.
Au-delà de l’aspect éducatif, ces projets ont contribué à créer un espace de dialogue autour de questions fondamentales liées à la mémoire collective. En donnant une place centrale à ces vestiges, la Guadeloupe a montré qu’elle souhaitait faire face à son histoire avec transparence et respect, tout en encourageant la réflexion sur les résistances et les luttes pour la liberté. La valorisation du patrimoine est ainsi devenue un moyen de dépasser la simple conservation pour devenir un vecteur de cohésion, d’unité et de réconciliation. La mémoire vivante de ces lieux a ainsi servi de fondement pour bâtir une société plus éclairée, où chaque individu a pu prendre conscience de ses racines et de l’histoire partagée.
Finalement, en inscrivant la valorisation du patrimoine dans une logique pédagogique, la Guadeloupe a souhaité faire de ses sites historiques un véritable outil de transformation sociale. En rendant ces espaces à la fois respectueux de leur passé et ouverts sur l’avenir, elle a favorisé un processus de réparation symbolique, permettant à la mémoire de continuer à vivre, tout en contribuant à renforcer la cohésion et la conscience collective. La mise en valeur de ces vestiges est ainsi devenue un acte essentiel pour bâtir une société guadeloupéenne plus unie, éclairée et respectueuse de son histoire.
Les perspectives et enjeux futurs
Ce colloque a constitué une étape essentielle dans la démarche de reconnaissance et de valorisation du patrimoine historique en Guadeloupe. Il a incarné la volonté profonde de bâtir une mémoire collective qui ne s’est pas limitée à la simple conservation des vestiges du passé, mais qui a cherché à donner un sens à ces témoins du temps pour l’ensemble de la société. La démarche entreprise par le Conseil Départemental a visé à élaborer un parcours mémoriel cohérent, intégrant la mémoire coloniale, celle de l’abolition et des résistances, afin d’offrir une vision complète et équilibrée de l’histoire. Ce travail de mémoire n’a pas été dissocié d’un engagement citoyen : il s’est agi de réparer, de reconstruire, de faire entendre toutes les voix qui ont façonné cette terre, dans un souci d’équilibre et de justice historique.
Dans cette optique, “réparer la mémoire” a dépassé la simple dimension patrimoniale pour devenir un enjeu profondément social et humain. Cela a été une démarche qui a invité à la réflexion, à l’écoute, à la reconnaissance de douleurs passées souvent évitées ou minimisées. Elle a appelé à une responsabilisation collective, afin que chaque génération ait pu prendre conscience de ses racines, des luttes et des résistances qui ont permis d’édifier cette société. La mémoire est ainsi devenue un pont entre le passé et l’avenir, un espace où la douleur a pu se transformer en compréhension, en dialogue, en unité. Elle a offert l’opportunité de construire un avenir où la diversité et la richesse des expériences humaines ont été enfin reconnues et valorisées.
Sabine Fourn, représentant la ville de Ouidah, a exprimé lors de cette rencontre des pensées émouvantes sur l’importance de cette démarche. Elle a souligné que “la mémoire est un trésor précieux, un fil invisible qui relie nos histoires, nos cultures et nos identités. La réparer, c’est redonner à chaque personne la possibilité de se reconnaître dans son histoire, de se sentir partie intégrante d’un tout plus grand. C’est un acte d’amour envers la mémoire collective, un geste qui a ouvert la voie à la réconciliation et à la paix.” Ses paroles ont résonné comme une invitation à ne pas oublier, à continuer à bâtir des ponts solides entre les générations, en honorant chaque fragment de mémoire comme un pas vers la compréhension mutuelle et la cohésion sociale.
Ouidah, ville singulière aux talents humanistes
La participation du Dr Sylvestre Edjekpoto, Fondateur et Président-Directeur de l’Institut de Recherche Afrique Décide, a été particulièrement remarquable lors du colloque « Réparer la mémoire » organisé à l’Habitation Néron. Représentant de la société civile de Ouidah, il a apporté une perspective essentielle, enrichissant les débats par sa profonde connaissance de l’histoire africaine, de la résistance des peuples et des enjeux de mémoire. Son intervention a permis de souligner l’importance cruciale de valoriser non seulement les sites historiques en Guadeloupe mais aussi la mémoire collective en Afrique, en insistant sur la nécessité d’un dialogue transversal pour une reconnaissance authentique des luttes contre l’oppression. Sa contribution a permis d’élargir la réflexion à une dimension panafricaine, renforçant le caractère international de l’événement.
Au cours du colloque, le Dr Sylvestre Edjekpoto a insisté sur la responsabilité de la société civile dans le processus de réparation de la mémoire. Il a déclaré : « Il ne suffit pas de restaurer des sites, il faut aussi reconstruire des récits qui donnent sens à notre histoire commune. La mémoire doit devenir un outil d’émancipation, de dialogue et de réconciliation entre nos peuples. » Son propos a souligné l’importance d’engager activement la société civile dans la sensibilisation, l’éducation et la transmission des valeurs de résistance et de dignité, afin d’assurer une mémoire vivante et partagée. Sa voix, empreinte de sagesse et d’engagement, a résonné comme un appel à l’action collective pour une reconnaissance plus juste de l’histoire coloniale et esclavagiste.
Enfin, le Dr Sylvestre Edjekpoto a insisté sur la nécessité d’un partenariat renforcé entre acteurs locaux, chercheurs, institutions et sociétés civiles pour faire évoluer la mémoire vers une véritable réparation sociale. Il a affirmé : « La reconstruction de notre mémoire commune doit être un effort collectif, où chaque voix compte. C’est en unissant nos forces que nous pourrons bâtir une société plus juste, éclairée par la connaissance et le respect de nos histoires respectives. » Sa contribution a ainsi renforcé l’esprit de solidarité et de coopération indispensable à la construction d’un avenir où la mémoire, réparée et valorisée, devient un levier de transformation sociale et de réconciliation durable.
Lorsqu’on évoque l’importance de la mémoire, il est essentiel de souligner le rôle crucial du patrimoine dans la construction d’une société plus juste et inclusive. Christophe Chodaton, président du Comité de Commémoration du 23 Août (CCOM 23), insiste : « La mémoire collective doit être préservée et valorisée comme un pilier de notre identité. Elle nous permet de comprendre notre passé, d’apprendre de nos erreurs et d’avancer ensemble vers un avenir plus solidaire. » Il ajoute : « La commémoration du 23 août n’est pas seulement un hommage, c’est un acte de reconnaissance et de réparation. En rendant visibles ces moments difficiles, nous renforçons la cohésion sociale et ouvrons la voie à la réconciliation. » La sensibilisation de la population et la valorisation du patrimoine historique demeurent des leviers indispensables pour dépasser les blessures du passé.
La mémoire, lorsqu’elle est respectée et intégrée dans notre quotidien, devient un puissant outil de transformation sociale. En poursuivant cet effort collectif, la Guadeloupe pourra continuer à bâtir une société plus juste, plus solidaire et ouverte à toutes ses diversités.
Hugues Hector ZOGO