Préface de Nicolas Poirier – Postface de Constant Sinzogan
Auteur : Père Arnaud Eric AGUENOUNON, prêtre de l’archidiocèse de Cotonou depuis 2011, Bénin
Cotonou, le 14 juin 2025
Mesdames et Messieurs,
Distingués confrères de la presse nationale et internationale,
Permettez-moi de vous convier à une immersion dans l’univers fascinant de l’intellectuel béninois, le Père Arnaud Eric Aguenounon, prêtre de l’archidiocèse de Cotonou dont l’ouvrage publié aux réputées éditions L’Harmattan, dans la collection « Ouverture Philosophique », porte un titre pour le moins évocateur : Le procès « démocratie et bureaucratie » dans le jury Lefort et Weber.
Ah, quelle magnifique illustration de la mondialisation de la pensée critique, où le théâtre des idées se joue désormais à l’échelle planétaire, et où le prêtre béninois, en bon diplomate de la philosophie, nous propose un « procès » à la fois sérieux et à mourir de rire, entre deux figures emblématiques de la science politique occidentale : Lefort et Weber.
Ce chef-d’œuvre, dont la préface est confiée à Nicolas Poirier et la postface à Constant Sinzogan, se présente comme une quête méticuleuse – ou devrais-je dire une expédition dans les abysses conceptuels – visant à établir une généalogie de l’interaction entre démocratie et bureaucratie. Rien que ça. Et ce, dans une optique qui, assurément, ne laissera personne indifférent : celle de nous faire voir, à travers le prisme béninois, comment ces notions universelles se transforment en véritables pièces de théâtre politico-philosophiques, où la démocratie, ce lieu vide et plein à la fois, se voit constamment menacée par la bureaucratie, cette machine à remplir, à figer et à bureaucratiser tout ce qui bouge.
Il ne faut pas se méprendre : derrière cette apparente érudition se cache une critique acerbe, de la scène politique contemporaine, où la stabilité se fait souvent au prix de la liberté, et où la bureaucratie, telle une ombre insidieuse, s’immisce dans chaque recoin du pouvoir pour le transformer en une vaste machine à produire de l’immobilisme. La question n’est pas simplement de savoir si l’on doit lutter contre cette bureaucratie, mais plutôt de comprendre comment, en vérité, elle tend à remplir le lieu vide de la démocratie pour mieux l’étouffer, dans une danse macabre entre le plein et le vide.
A présent, nous allons plonger, avec un plaisir non dissimulé, dans le labyrinthe conceptuel que le Père Arnaud Eric Aguenounon nous propose, un labyrinthe où démocratie et bureaucratie dansent une valse aussi complexe que la pensée de Lefort et Weber, deux géants que tout un chacun se doit de connaître, ou du moins de connaître par cœur si l’on veut prétendre comprendre ce qui se trame dans le théâtre du pouvoir.
La promesse d’un procès : démocratie contre bureaucratie ?
L’auteur nous invite à assister à ce qu’il qualifie pudiquement de « procès » – mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas une simple audience, c’est une véritable mise en accusation, un jugement critique sur la façon dont la démocratie moderne, dans ses formes les plus élaborées ou les plus dégradées, se voit confrontée à la bureaucratie, cette amie ou ennemie, selon les moments, qui semble avoir plus d’un tour dans son sac de ficelles administratives.
Le titre lui-même, Le procès « démocratie et bureaucratie » dans le jury Lefort et Weber, annonce la couleur : il faut s’attendre à un duel intellectuel où la démocratie n’est pas, comme on pourrait le croire naïvement, la règle d’or, mais plutôt la scène d’un procès, d’un combat, d’une tension insoutenable entre ce que Lefort appelle le « lieu vide » et la bureaucratie, incarnation ultime de la filiation au plein, à la fixité, à la stabilité figée du pouvoir.
La « généalogie » : une expédition dans les abysses conceptuels
Le philosophe politique Père Arnaud Eric Aguenounon, en véritable explorateur des idées, nous propose une généalogie de ces deux notions – le lieu vide démocratique et la bureaucratie – comme si l’on remontait le fil d’une tapisserie hantée par les ombres du passé. On pourrait se demander : pourquoi remonter aussi loin ? C’est que, dans cette démarche, il ne s’agit pas simplement de faire une histoire des concepts, mais de comprendre ce qui, dans l’histoire de nos sociétés, a tissé la toile de nos institutions, de nos conflits et de nos illusions.
Le lecteur, donc, doit se préparer à une traversée où chaque étape dévoile la profondeur de la pensée lefortienne sur la démocratie, cette expérience historique et institutionnelle qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est pas un régime de domination, mais plutôt un espace où le pouvoir doit rester vide pour permettre la vie politique, cette agitation conflictuelle qui fait vibrer la scène publique.
Mais l’écrivain-essayiste Père Arnaud Eric Aguenounon ne se contente pas de cela : il évoque aussi Weber, ce géant allemand, pour rappeler que la bureaucratie, loin d’être une simple accumulation administrative, représente la rationalisation ultime du pouvoir, un processus qui, s’il n’est pas contrôlé, peut devenir une machine à étouffer toute spontanéité démocratique. En d’autres termes, la bureaucratie, cette « forme » de domination qui ne se contente pas de diriger mais qui rationalise et bureaucratise tout, peut devenir le bourreau silencieux de la démocratie elle-même.
La démocratie comme lieu vide : une idée qui secoue
Mais qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? La démocratie, dans cette optique, n’est pas un lieu rempli de visions, de volontés ou d’idéaux figés. Non, c’est un lieu vide, une scène où tout peut arriver, où le pouvoir ne doit pas s’installer confortablement mais rester en suspension, en attente de la volonté populaire.
C’est ici que la pensée lefortienne intervient avec force : le pouvoir démocratique n’est pas une entité transcendante, une force qui domine, mais plutôt une « place vacante », une scène où la société, par ses conflits et ses contradictions, doit continuer à jouer son rôle de spectatrice et d’actrice. La démocratie devient alors un espace d’incertitudes, de luttes, de négociations permanentes. Un lieu où la stabilité n’est qu’une illusion, et où le « plein » menace constamment de s’installer pour étouffer cette liberté fragile.
Et c’est précisément là que la question devient philosophique : qu’est-ce qui remplit ce lieu vide ? La bureaucratie, bien sûr, cette machine à remplir, à fixer, à standardiser. La bureaucratie, qui tend à transformer la scène politique en un théâtre d’automates, d’algorithmes et de procédures. Elle, qui prétend assurer la stabilité, ne risque-t-elle pas, en réalité, de la tuer ?
L’analyste politique et spécialiste des questions internationales Père Arnaud Eric Aguenounon soulève alors une autre question cruciale : qu’est-ce qui s’oppose à ce lieu vide ? Le plein, bien sûr, et ce plein pourrait bien être la bureaucratie, cette tendance à tout figer, à tout rationaliser, à tout bureaucratiser. Le plein pourrait aussi être la tentation du pouvoir de s’accaparer la scène, de la remplir de ses propres symboles, de ses propres personnifications. La bureaucratisation, quant à elle, représenterait cette force qui tente d’étouffer la démocratie en la remplissant de ses institutions, de ses normes, de ses lois, souvent déconnectées de la volonté populaire.
La critique de la bureaucratie : un procès sans fin
Le livre propose une critique acerbe de cette bureaucratie, non pas comme une simple nécessité administrative, mais comme une forme de domination, un processus qui, s’il n’est pas maîtrisé, peut devenir totalitaire. La bureaucratie n’est pas un mal nécessaire, mais un mal en soi, un « procès » qui ne cesse de s’étendre, de coloniser chaque recoin du pouvoir.
Le Père Arnaud Eric Aguenounon insiste sur le fait que la pensée lefortienne, en particulier, offre un regard précieux pour comprendre cette dynamique : si la démocratie doit rester un lieu vide, un espace de liberté, la bureaucratie, elle, tend à remplir ce vide, à transformer la scène politique en une scène bureaucratique où tout devient prévisible, programmée, contrôlable.
Mais alors, la question qui tue : cette bureaucratie pourrait-elle, en fin de compte, devenir une forme de pouvoir totalitaire ? La réponse, aussi cruelle que limpide, est oui. Car la bureaucratie, dans sa rationalité implacable, peut devenir la nouvelle tyrannie, celle qui ne se voit pas, qui ne se sent pas, mais qui s’installe insidieusement dans le corps même des institutions démocratiques.
La scène finale : une analyse de terrain, un regard humaniste sur le peuple
Après cette généalogie conceptuelle, l’auteur nous entraîne dans la troisième partie, l’analyse de terrain. Parce qu’au fond, derrière toutes ces idées, il y a des hommes, des femmes, des peuples. Le peuple, cette masse toujours en devenir, cette multitude qui doit continuer à faire vivre la démocratie, malgré les pièges tendus par la bureaucratie.
Une question profonde se pose ici : qu’est-ce que le peuple dans ce contexte ? Est-il simplement un spectateur passif ou doit-il être un acteur conscient, un sujet qui refuse d’être rempli par la bureaucratie, un sujet qui, par sa capacité à résister, à questionner, peut préserver la scène démocratique ?
Le Père Arnaud Eric Aguenounon, à travers ses analyses, nous invite à réfléchir non seulement sur la structure institutionnelle, mais aussi sur la condition humaine, sur cette capacité que détient chaque citoyen, chaque citoyenne, à garder vivante cette « place vide » qui fait toute la différence entre une démocratie authentique et une bureaucratie totalitaire.
Il s’agit ici d’un regard humaniste : le peuple n’est pas une masse passive, mais un acteur crucial dans le procès démocratique. La crise actuelle, que ce soit au Bénin ou ailleurs, n’est-elle pas justement cette tentation de remplir la scène vide avec des figures de pouvoir qui, sous prétexte de stabilité, veulent tout contrôler ?
En conclusion – un procès toujours en cours
Ce livre n’est pas une simple étude académique. C’est une invitation à penser la démocratie autrement, à voir au-delà des apparences, à comprendre que le pouvoir n’est pas une chose que l’on possède, mais une scène que l’on doit constamment préserver du remplissage bureaucratique, de la fixité dogmatique, de la domination silencieuse.
Il nous appelle à une vigilance permanente, à une résistance contre cette tendance à remplir le lieu vide avec tout ce qui pourrait le réduire à un « plein » figé. Car, comme le souligne Lefort, la véritable démocratie est cette scène ouverte, cette place vacante qui, paradoxalement, est la seule qui permette la vie politique, sa vitalité, sa capacité à évoluer, à se transformer.
Et si cette dénonciation de la bureaucratie et cette valorisation de la scène vide peuvent paraître abstraites, elles prennent tout leur sens dans notre contexte béninois, où la démocratie, souvent malmenée, doit encore apprendre à préserver cette place vide, ce lieu d’incertitude créatrice, face aux tentations du plein, de l’immobilisme et de la domination.
Quelle moralité philosophique ?
En fin de compte, ce procès n’est pas seulement celui de Lefort et Weber. C’est notre procès à tous, celui de chaque citoyen face à la tentation de remplir la scène démocratique avec des figures rassurantes, mais souvent oppressantes. C’est une invitation à ne pas confondre stabilité et immobilisme, à ne pas laisser la bureaucratie envahir le lieu vide du pouvoir, car c’est là, précisément, que se joue le sens même de notre humanité politique.
Et, comme dans tout bon tribunal, le verdict, mes chers amis, ne tardera pas à tomber : la démocratie ne doit pas mourir dans les cartons de la bureaucratie. À vous, désormais, d’être les jurés de cette dénonciation mordante, où le théâtre politique ne doit pas se transformer en sinistre spectacle de remplissage bureaucratique.
Le procès est lancé. À vous de jouer.
Présentation de Hugues Hector ZOGO