Présent à Abuja pour le tout premier sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) consacré à l’économie, le président béninois Patrice Talon a prononcé un discours empreint de franchise sur l’état de la coopération internationale ainsi que sur les perspectives d’intégration régionale. Il a notamment évoqué un « engagement commun » avec son homologue nigérian, Bola Tinubu, en vue de renforcer les liens économiques entre leurs deux nations.

Dans un contexte mondial marqué par la montée des intérêts nationaux au détriment de la coopération multilatérale, Patrice Talon a dressé un constat lucide. « La coopération internationale n’est plus aujourd’hui un idéal universel », a-t-il affirmé, soulignant que l’aide extérieure, autrefois perçue comme un levier essentiel du développement, tend à disparaître. Pour le chef de l’État béninois, les pays africains ne peuvent plus se reposer sur l’assistance internationale. « L’aide internationale n’existe plus et n’existera plus », a-t-il martelé, avant de plaider en faveur d’une « prise de responsabilité collective » en Afrique : « Le seul moyen pour nos populations de sortir de la pauvreté est que nous fassions les efforts qu’il faut sur nous-mêmes pour nous développer. »

En s’appuyant sur l’exemple des États-Unis, Patrice Talon a souligné que même les puissances économiques défendent désormais leurs intérêts de manière ferme, parfois au mépris des principes de coopération. Il perçoit dans cette attitude un « signal d’alarme » pour les pays africains : « C’est une façon de nous réveiller. À la limite, nous devrions saluer le président Trump pour ce coup de fouet. » Mais au-delà du constat, le président béninois a surtout insisté sur la nécessité de bâtir des solutions « régionales », notamment par une coopération renforcée entre le Bénin et le Nigeria. Il a révélé avoir transmis, quelques jours avant le sommet, un message à Bola Tinubu via son ministre des Finances. L’objectif : initier une étape concrète dans l’intégration économique bilatérale.

« J’ai prié le président Tinubu d’accepter que le Bénin et le Nigeria soient les pionniers d’un nouveau palier en matière d’intégration », a-t-il déclaré, tout en saluant les textes existants au sein de la CEDEAO mais en déplorant leur faible mise en œuvre. Patrice Talon a confirmé que lui et son homologue nigérian sont désormais sur la même longueur d’onde : « Nous sommes d’accord pour une intégration économique effective entre nos deux pays. » S’adressant directement aux membres des deux gouvernements présents dans la salle, le président béninois a appelé à une mise en œuvre rigoureuse de cette vision commune : « Notre volonté est claire, les instructions ont été données. Il appartient désormais à nos ministres, à nos équipes respectives, de transformer cette volonté en actions concrètes. » Sur un ton fédérateur, Patrice Talon a lancé un « appel à l’unité régionale » : « Le Bénin et le Nigeria sont les mêmes, du nord au sud. Je souhaite que nous soyons les pionniers de cette nouvelle dynamique. »

Face à la nouvelle voie de développement proposée

Le discours prononcé par le président béninois Patrice Talon lors du sommet de la CEDEAO à Abuja soulève une réflexion profonde sur la perception et la compréhension de sa démarche par ses pairs africains, ainsi que sur la pertinence de cette approche pour le développement du continent. En insistant sur la fin de l’aide extérieure et sur la nécessité d’une responsabilité collective régionale, Patrice Talon propose une rupture avec les paradigmes traditionnels de coopération internationale, souvent perçus comme essentiels pour le développement africain. La question qui se pose est alors : cette vision novatrice sera-t-elle comprise et acceptée par ses homologues, et constitue-t-elle la meilleure voie pour le progrès en Afrique ?

D’une part, la communication de Patrice Talon met en avant un constat lucide partagé par de nombreux acteurs africains : la dépendance à l’aide extérieure a montré ses limites, voire ses effets délétères, en créant une posture de passivité et en freinant l’émergence d’un véritable développement endogène. En insistant sur la responsabilité collective et l’intégration régionale, le président béninois propose une solution concrète, pragmatique, et adaptée aux réalités africaines. La mise en avant de l’intégration économique bilatérale, notamment entre le Bénin et le Nigeria, témoigne d’une volonté de privilégier des solutions locales et réalistes, qui pourraient servir de modèle pour d’autres régions du continent.

Cependant, cette démarche n’est pas sans défis. La majorité des dirigeants africains sont encore profondément dépendants de l’aide extérieure, souvent perçue comme une sécurité ou une légitimité, et certains peuvent percevoir la volonté d’indépendance économique comme une menace à leur souveraineté ou à leurs intérêts personnels. La méfiance envers cette nouvelle approche pourrait donc constituer un obstacle majeur à sa compréhension et à sa mise en œuvre. De plus, la faiblesse institutionnelle de plusieurs États, le manque de ressources et de capacités administratives, ainsi que les divergences politiques et économiques entre les pays membres de la CEDEAO, peuvent freiner la concrétisation des ambitions de Talon.

Néanmoins, la position ferme et lucide du président béninois pourrait être perçue par ses pairs comme un appel à la maturité politique et à la responsabilité collective. En soulignant que même les grandes puissances défendent aujourd’hui avant tout leurs intérêts, il invite ses collègues à faire preuve de réalisme et à envisager une stratégie centrée sur leurs propres forces. La démarche de Talon pourrait ainsi être comprise comme une tentative de réveil, un signal fort pour encourager une autonomie accrue et une coopération régionale plus efficace. Si la majorité des dirigeants africains comprennent la nécessité de réduire leur dépendance à l’aide extérieure et d’accélérer leur intégration régionale, leur capacité à adhérer pleinement à cette démarche dépendra de leur perception de ses bénéfices concrets et de leur confiance dans la volonté collective. La proposition de Patrice Talon, bien qu’ambitieuse et potentiellement salvatrice, requiert un changement de paradigme profond, ainsi qu’une forte volonté politique et une solidarité sincère entre les États. La voie qu’il ouvre pourrait ainsi représenter une étape décisive vers un développement plus autonome et durable en Afrique, à condition que ses pairs la comprennent et s’y engagent avec conviction.

Salle de Presse – Repères Impacts

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